« L’économie sociale et solidaire produit des biens dont tout le monde bénéficie »

interview de Philippe Frémeaux, propos recueillis par F.RI, Libération, 24-25 XII 2013, « Le Libé des solutions », p.5

Atelier photocollage 16 XI 2013 3

Philippe Frémeaux, éditorialiste au magazine économique et président de la société coopérative Alternatives économiques, vient de rendre un rapport sur « l’évaluation de l’apport de l’économie sociale et solidaire ».

Que préconise le rapport que vous avez remis à Benoît Hamon ?

L’économie sociale et solidaire [ESS] est généralement représentée par sa contribution à l’emploi, 2,4 millions de salariés. Mais aussi par sa contribution au PIB, qui tourne autour de 6,7% selon l’INSEE et l’Addes [Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale, ndlr] et non 10% comme il est dit parfois…..

Pour une lecture plus rapide, nous avons écrit en bleu les éléments qui nous semblaient majeurs dans cet article

« L’économie sociale et solidaire produit des biens dont tout le monde bénéficie », interview de Philippe Frémeaux, propos recueillis par F.RI, Libération, 24-25 XII 2013, « Le Libé des solutions », p.5

Philippe Frémeaux, éditorialiste au magazine économique et président de la société coopérative Alternatives économiques, vient de rendre un rapport sur « l’évaluation de l’apport de l’économie sociale et solidaire ».

Que préconise le rapport que vous avez remis à Benoît Hamon ?

L’économie sociale et solidaire [ESS] est généralement représentée par sa contribution à l’emploi, 2,4 millions de salariés. Mais aussi par sa contribution au PIB, qui tourne autour de 6,7% selon l’INSEE et l’Addes [Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale, ndlr] et non 10% comme il est dit parfois.

Mais est-ce le plus important ? Le PIB ne prend pas en compte les dégâts environnementaux, les inégalités… L’économie sociale et solidaire doit donc militer en faveur d’autres indicateurs de richesse qui évaluent l’évolution du bien-être et l’inscription de nos sociétés dans la durée.

Une grande partie des biens que produit l’ESS sont des biens dont tout le monde bénéficie : la formation, l’éducation, la santé… Ce n’est pas comme produire des voitures de luxe ! L’ESS, qui dit vouloir faire de l’économie autrement, ne peut mesurer son apport par sa seule contribution au PIB.

Vous soulevez également la question de l’évaluation statistique ?

On connaît assez mal le secteur. Il serait bon d’améliorer les travaux statistiques pour qu’ils intègrent le management, les rémunérations, les conditions de travail, les inégalités homme-femme… Dans les travaux de l’Insee sur les salaires, on n’est pas capable d’analyser de manière distincte les organisations de l’ESS alors qu’il serait possible de le faire.

La gouvernance démocratique dont se prévaut l’ESS n’est pas non plus toujours à la hauteur des enjeux. Elle pourrait être évaluée. Le vertueux n’a pas peur de la transparence. Enfin, la dernière partie du rapport, qui doit beaucoup à Florence Jany-Catrice, professeure à l’université de Lille-I, questionne l’évaluation de l’utilité sociale et défend les méthodes qui associent les structures elles-mêmes et non celles qui les conduisent à se plier à des attentes extérieures ou modelées par des appels d’offres.

Le projet de loi élargit-il le champ de l’ESS ?

La loi telle qu’elle est faite propose une définition essentiellement statutaire. Elle ouvre le champ à des sociétés de capitaux qui se fixent des règles qui sont un quasi-statut. Quant à la définition de l’entreprise solidaire, elle demeure largement définie par son objet social. En fait, au delà des statuts, les structures de l’ESS se sont souvent développées dans des secteurs particuliers. Très peu dans les industries, sauf les scop – qui ne représentent qu’à peine 2% de ses salariés.

Ce qui motive les créateurs d’entreprises de l’ESS, c’est l’innovation sociale, la réponse à des besoins sociaux auxquels l’État et le marché répondent mal. Les transformations des modèles agricoles, de mobilité, de logement, de production d’énergie, sont issues d’entreprises liées à l’ESS qui ont joué un rôle pionnier. Il y a sans cesse un mouvement de renouvellement.

Ne demande-t-on pas trop à l’ESS ?

Elle a un potentiel d’innovation au service d’une économie plus démocratique, plus soutenable, qui accorde la priorité à l’emploi plutôt qu’au profit. Cela dit, 1,5 million des salariés de l’ESS se trouvent dans les services non marchands, qui sont soutenus au moins à 50% par des fonds publics.

Dans un contexte de rigueur budgétaire, les fonds publics vont diminuer. La fameuse résilience de l’ESS par rapport au secteur capitaliste trouve là ses limites. Une partie de cette résilience dépend du niveau de solidarité que notre société est prête à accepter. La protection sociale pèse 32% du PIB. Voilà ce qu’il faut défendre !

Faut-il regretter que l’ESS ne pèse pas plus dans le champ politique ?

La plupart des entreprises de l’ESS ont pour première préoccupation stratégique de survivre et se développer, et c’est normal. L’ESS ne peut s’affirmer comme un mouvement politique.

Les gouvernements changent, les structures de l’ESS restent. Une partie du projet de loi Hamon reprend d’ailleurs des éléments du rapport de Francis Vercamer de l’ancienne majorité.

Soit l’ESS prétend peser lourd, soit elle prétend oeuvrer pour une société différente, mais cette ESS de projet n’en représente qu’une partie.