[ Octobre 2020 ]

C’était il y a plus de 150 ans, en un temps où l’on pouvait encore s’affirmer utopiste et où il était possible de penser un avenir meilleur que le présent.

En ces temps-là, l’idée progrès n’était pas encore dépréciée. Elle concernait surtout la science et la technique mais il y avait quelques humanistes qui rêvaient un monde meilleur et même qui s’activaient pour le mettre en œuvre.

Ce fut notamment le cas de Jean-Baptiste Godin dont le nom reste attaché aux poêles en fonte qui agrémentent encore de nombreux foyers mais aussi au fameux Familistère qu’il bâtit tout à côté de sa fonderie à Guise.

L’initiative de la construction de ce « Palais social », comme il l’appelle, repose sur différents constats au premier rang desquels les déplorables conditions de vie de celles et ceux que l’on n’hésitait pas encore à appeler les pauvres.

À l’inverse, quelques heureux de ce monde capitaliste et lancé dans la révolution industrielle bénéficiaient de toutes les sécurités de la réussite.

D’aucuns pensaient alors et pensent toujours que la solution à cette question est d’abord et même peut-être seulement financière. C’est par exemple la raison pour laquelle on parle encore d’accroissement du pouvoir d’achat.

On pourrait parler plus généralement de hausse des revenus ce qui ne réduirait pas les êtres humains à de seuls consommateurs mais, à l’exemple de Godin, on pourrait aussi envisager le progrès social sous l’angle de l’accès aux « équivalents de richesse ».

« Reconnaissons que l’amélioration du sort des classes ouvrières n’aura rien de réel tant qu’il ne leur sera pas accordé des équivalents de la richesse, ou, si l’on veut, des avantages analogues à ceux que la fortune s’accorde ; armé de cette boussole, on peut marcher constamment dans la voie des choses qui sont à faire, on a un guide sûr de sa conduite.

Placer la famille du pauvre dans un logement commode. Entourer ce logement de toutes les ressources, de tous les avantages dont l’habitation du riche est pourvue. Faire que le logement soir un lieu de tranquillité, d’agrément et de repos. Remplacer par des institutions communes, les services que le riche retire de la domesticité.

Telle est la marche à suivre si l’on ne veut pas que les familles ouvrières soient perpétuellement exclues du bien-être qu’elles créent, auquel toute créature humaine a droit, et qu’il est dans les nécessités de notre époque de réaliser pour tous[1] ».

Au Familistère, cela se traduisait par des logements hygiénistes et lumineux, une pouponnière, une école, un économat, une buanderie collective jouxtant une piscine dont le fond pouvait bouger verticalement pour permettre aux petits d’avoir pied, un théâtre, un parc…

Par surcroît, cette idée d’équivalents de richesse supposait de la qualité dans la construction, de la beauté dans les choix de matériaux, les couleurs, l’arrangement des espaces… Tout comme cela induisait un temps de travail maîtrisé, des activités culturelles, l’accès à l’art : le luxe pour chacun quoi !

C’était au milieu du XIXe siècle mais ne serait-il pas temps de réinterroger de telles options ?

[1] Godin, Jean-Baptiste, la Richesse au service du peuple ; le Familistère de Guise, Paris, la Bibliothèque démocratique, 1874, p.12-13.