[Infolettre de fin mai, début juin…]

Différents échanges récents relatifs à l’organisation de l’économie sociale et solidaire et des structures apparentées mettent pour le moins en évidence des incertitudes quant à la définition et les engagements de ce qui se présente encore comme une alternative à l’économie conventionnelle.

Si alternative, il y a, elle n’est pas récente et elle est même bien plus ancienne que le système néolibéral globalisé qui nous est présenté, tel le marché, comme « l’état de nature de la société ».

Si nous voulons revendiquer une différence, il n’est pas inutile de se souvenir de nos grands pionniers et notamment le français Jean-Baptiste Godin dont le maître ouvrage Solutions sociales, est paru il y a un peu plus de 150 ans.

Fondateur d’une entreprise prospère, il veut concrétiser ses engagements politiques dans l’action et notamment la création du Familistère de Guise qui repose entre autres sur le concept des « Équivalents de la richesse », rendus accessibles dans le cadre d’un projet solidaire et émancipatoire.

« Les véritables institutions sociales sont celles qui se traduisent, dans les faits matériels, par des fondations durables, et servant, par elles-mêmes, au maintien de ces institutions ; en dehors de cela, tout est éphémère et sans consistance, les théories les plus vraies sont sans portée, et les aspirations les plus généreuses, sans effet durable sur le sort du peuple.

[…] Assurer le bien-être aux classes pauvres, aux classes ouvrières, est le vœu de tous les philanthropes ; mais bien peu d’entre eux ont commencé par rechercher en quoi consiste le bien-être.

[…] Nous devons en conclure que l’amélioration du sort des classes ouvrières n’aura rien de réel, tant qu’il ne leur sera pas accordé les Équivalents de la Richesse, ou, si l’on veut, des avantages analogues à ceux que la fortune s’accorde ; armé de cette boussole, on peut marcher constamment dans la voie des choses qui sont à faire, on a un guide sûr de sa conduite.

Placer la famille du pauvre dans un logement commode ;

Entourer ce logement de toutes les ressources, et de tous les avantages dont le logement du riche est pourvu ;

Faire que le logement soit un lieu de tranquillité, d’agrément et de repos ;

Remplacer, par des institutions communes, les services que le riche retire de la domesticité ;

Telle est la marche à suivre si l’on ne veut pas que les familles ouvrières soient perpétuellement exclues du bien-être qu’elles créent, auquel toute créature humaine a droit, et qu’il est dans les nécessités de notre époque de réaliser pour tous1 ».

Tout cela se traduisit dans les faits et les traces sont encore présentes à Guise.

Pour subvenir aux besoins des familistérienNEs, un économat est créé, juste en face de la piscine et puis l’on pense également à ce que l’on appellera bien plus tard la sécurité sociale. À la caisse de secours mise en place dans l’usine de Guise dès 1846, succède une assurance contre la maladie (1860) rapidement complétée par une caisse de secours pour les dames (1867), une caisse de pharmacie (1870) et une caisse destinée aux vieux travailleurs, aux invalides du travail, aux veuves, aux orphelins et aux famille nécessiteuses (1872).

Et puis, comme le principe est bien la possibilité d’une « Vie bonne », grâce à une école intégrée, à une pédagogie de pointe, aux cours du soir dispensés aux adultes, à la bibliothèque, au théâtre…, l’accès au savoir professionnel et à la culture n’est plus réservé à une petite élite.

1 Jean-Baptiste Godin, Solutions sociales, p.418-426 de l’édition originale, disponible sur le site Gallica de la BNF