Thierry Brun, « C’est le moment d’être pris au sérieux », entretien avec Jean-Louis Laville, Politis, 16-22 juin 2011, p.3-4.
Thierry Brun, « C’est le moment d’être pris au sérieux, entretien avec Jean-Louis Laville, Politis, 16-22 juin 2011, p.3-4.
POLITIS : Pourquoi ce besoin d’organiser des États généraux de l’économie sociale {ESS) et solidaire cette année ?
Jean-Louis Laville : Le milieu de l’ESS s’est beaucoup modifié ces dernières décennies. Une tradition d’économie sociale est représentée par les statuts associatifs, coopératifs et mutualistes et, à partir des années 1970, une multitude d’initiatives citoyennes ont généré des démarches de démocratisation de l’économie. Elles se sont retrouvées sous l’appellation d’économie solidaire. Plus récemment, des acteurs ont mis en avant un entrepreneuriat social et ont créé un mouvement, le MOUVES. En termes économiques, l’ensemble de l’ESS représente près d’un emploi sur dix dans l’économie française….
Thierry Brun, « C’est le moment d’être pris au sérieux », entretien avec Jean-Louis Laville, Politis, 16-22 juin 2011, p.3-4.
POLITIS : Pourquoi ce besoin d’organiser des Stats généraux de l’économie sociale {ESS) et solidaire cette année ?
Jean-Louis Laville : Le milieu de l’ESS s’est beaucoup modifié ces dernières décennies. Une tradition d’économie sociale est représentée par les statuts associatifs, coopératifs et mutualistes et, à partir des années 1970, une multitude d’initiatives citoyennes ont généré des démarches de démocratisation de l’économie. Elles se sont retrouvées sous l’appellation d’économie solidaire. Plus récemment, des acteurs ont mis en avant un entrepreneuriat social et ont créé un mouvement, le MOUVES. En termes économiques, l’ensemble de l’ESS représente près d’un emploi sur dix dans l’économie française.
Nous sommes cependant à la croisée des chemins, notamment parce qu’il y a une indubitable montée des pratiques et un questionnement de notre modèle de société. On peut voir cette montée des pratiques à travers le foisonnement d’initiatives citoyennes dans le champ de la consommation critique, dans l’organisation de circuits courts entre producteurs et consommateurs. Comment ce dynamisme peut déboucher nationalement ? C’est l’une des questions posées par les états généraux.
Comment ont été préparés ces états généraux ?
Les états généraux sont la suite de regroupements qui ont eu lieu sur les territoires, aux niveaux local et régional. Les chambres régionales de l’ESS comme le mouvement pour l’économie solidaire y ont pris une part importante, et des propositions ont été formulées à travers des cahiers d’espérance. Il s’agit de voir quelles sont les situations provoquant l’indignation et comment y remédier.
Nous sommes dans une situation paradoxale car la société n’est pas restée inerte par rapport à la crise que nous vivons. Elle s’est structurée à travers de très nombreuses initiatives citoyennes en France, comme en Europe ou sur d’autres continents. Ces initiatives rencontrent des difficultés à s’arrimer sur les politiques publiques et à trouver un répondant dans le monde politique traditionnel. Nous sommes dans ce moment décisif où cet arrimage de l’ESS peut avoir lieu. Cette économie peut aussi ne rester qu’un ensemble de pratiques considérées de haut, avec mépris par des décideurs, comme cela a été le cas par le passé.
Cette Économe sociale et solidaire est-elle capable d’apporter des réponses nouvelles à u ne crise économique et écologique ?
Si l’on se réfère aux exemples sud-américains, l’articulation entre mouvements sociaux et politiques publiques a été posée dans des pays comme l’Équateur, la Bolivie et d’une manière différente au Brésil. En Équateur, l’idée est d’avoir une économie qui repose sur la pluralité des formes et des logiques socio-économiques. Il y a ainsi une place pour le marché, la nécessité de régulations publiques fortes et surtout la prise en compte d’une économie populaire et solidaire qui résout un ensemble de problèmes non résolus par les deux autres composantes de l’économie. Il y a donc une dynamique démocratique qui se traduit en termes économiques. Plus récemment, l’ESS est considérée au Maghreb comme un élément de solution pour répondre aux problèmes de déficit d’activité et d’emploi. Mais il ne faut pas se tromper de modèle de société, car il y a plusieurs trajectoires proposées au sein du débat dans l’ESS.
Quelles sont ces différentes trajectoires ?
Une idéologie que l’on nomme social business, se met en place avec force en Europe. Elle rabat en fait l’économie sociale et solidaire dans sont intégralité vers des entreprises sociales qui pourraient fonctionner sur le marché et résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. On entretient l’illusion selon laquelle de telles entreprises suffiraient. Or, l’histoire des deux derniers siècles nous a indiqué que ce n’était pas le cas. L’ESS refuse d’être enfermée dans une fonction uniquement réparatrice, uniquement dédiée à une certaine catégorie de la population, celle qui n’arriverait pas à suivre dans l’économie normale. L’économie sociale et solidaire n’est pas une sous-économie, elle a vocation à être une composante légitime d’une économie plus intégratrice parce que plurielle. Le devenir de cette économie dans un nouveau projet démocratique est d’élargir les formes et les logiques économiques. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une économie qui soit au service de finalités humaines. Elle n’est pas une parenthèse au sens où c’est la démesure d’un capitalisme globalisé sans régulation qui a conduit à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.
Les partis politiques se sont-ils impliqués dans les états généraux ?
Les états généraux se sont présentés avant tout comme une rencontre citoyenne et n’ont donc pas sollicité les partis politiques. Au niveau politique, nous sommes aussi dans une une période charnière. On constate qu’il n’y a pas d’immobilisme. Même s’il n’y a eu qu’un secrétariat d’État à l’Économie solidaire pendant deux ans, au niveau local et régional, il y a aujourd’hui une majorité de Régions qui ont des politiques structurées en la matière. Mais ces acquis n’ont pas encore de traduction politique au niveau national. Nous sommes en train de chercher quelle pourrait être une politique publique nationale qui permette de donner un nouvel élan à cette économie sociale et solidaire. C’est presque le moment d’envisager un observatoire citoyen pour savoir si les propositions des états généraux seront pris au sérieux, notamment par les forces publiques.