Thierry Dominique, « La place des femmes dans la vie associative française », Associathèque, janvier 2008
Quelques rappels sur la situation du tissu associatif et du bénévolat en France :
Selon des chiffres tirés d’une importante enquête menée sous la direction de Viviane Tchernonog (CNRS/MATISSE), le nombre de personnes engagées dans le bénévolat associatif serait d’environ 14 millions de personnes en 2005. Ce chiffre aurait progressé régulièrement de 3,8% par an depuis 1999. Le taux d’engagement est donc de 28% de la population de plus de 15 ans…
Thierry Dominique, « La place des femmes dans la vie associative française », Associathèque, janvier 2008, https://www.associatheque.fr/fr/fichiers/etudes/place_femmes_vie_associative.pdf
Quelques rappels sur la situation du tissu associatif et du bénévolat en France :
Selon des chiffres tirés d’une importante enquête menée sous la direction de Viviane Tchernonog (CNRS/MATISSE), le nombre de personnes engagées dans le bénévolat associatif serait d’environ 14 millions de personnes en 2005. Ce chiffre aurait progressé régulièrement de 3,8% par an depuis 1999. Le taux d’engagement est donc de 28% de la population de plus de 15 ans.
Chaque bénévole passe en moyenne 86 heures par an dans son ou ses engagements (contre 81 heures en 1999).
Ces chiffres sont très positifs et cassent le discours mortifère sur « la crise du bénévolat » ou l’égoïsme des français ! Il convient de noter toutefois que cette étonnante progression s’explique prioritairement par la progression du nombre des associations (70 000 créations nouvelles tous les ans, solde net estimé à + 35 000 par an) ; en moyenne, chaque association n’a donc pas plus de bénévoles, environ 16 par association. C’est en quelque sorte « l’offre associative », considérable et très diversifiée, qui tire la progression du bénévolat.
Dans ce contexte globalement favorable, on pourrait dire que tout va bien et que les associations n’ont aucun problème pour trouver des bénévoles. Il n’en est rien, bien au contraire (c’est d’ailleurs la raison même de la création et du développement de France Bénévolat : voir www.francebenevolat.org ) :
1) Telles que Moloch, les associations sont insatiables : toute association digne de ce nom – et le plus grand nombre en est digne – dit qu’avec les moyens qu’elle a, elle n’a pas à rougir. Beaucoup affirment que si elles avaient deux fois plus de moyens, elles auraient deux fois plus d’actions et de résultats. Et bien sûr, les ressources essentielles d’une association sont les bénévoles, qu’il s’agisse des dirigeants associatifs ou des bénévoles de terrain plus ou moins engagés.
Ce besoin constant de bénévoles supplémentaires est le signe de l’extraordinaire dynamisme associatif, du besoin des associations d’entreprendre et de répondre aux besoins de lien social, que ce soit au travers des associations qui se situent sur des champs réparateurs, « les ravaudeurs du tissu déchiré », ou sur des champs plus préventifs (le secteur sportif, le secteur social et les aides à la personne, le secteur culturel et des loisirs, l’appui au développement économique…) ou encore sur des champs plus revendicatifs.
2) Les bénévoles choisissent et les associations doivent faire preuve d’attractivité, car il y a de fait concurrence sur une ressource toujours insuffisante. Le tissu associatif est immense et diversifié, même si sa lisibilité, en particulier locale, est insuffisante. Du coup les bénévoles potentiels ou actuels sont sollicités par de multiples canaux : cercle familial et personnel, grands médias pour les grandes associations de niveau national, médias locaux, notre propre Réseau France Bénévolat composé de plus de 230 points d’implantations locales et notre site…Contrairement à des idées acquises, ce n’est pas prioritairement et exclusivement le secteur associatif qui constitue le facteur essentiel d’attractivité. C’est essentiellement le dynamisme du Projet associatif, le charisme de ses dirigeants, la qualité de l’accueil et de l’intégration des nouveaux bénévoles, la qualité de l’ambiance, la qualité de la diversité et la possibilité de trouver des gens « sympa » et humainement riches…
3) Les compétences demandées sont souvent de plus en plus pointues. Ce qu’on appelle de plus en plus « le professionnalisme des bénévoles », renvoie à des besoins de compétences spécifiques. Pour prendre un exemple parmi des centaines, les associations qui s’occupent des personnes les plus exclues, doivent avoir des bénévoles spécialistes des questions d’écoute, de conseil familial, de santé, de droit administratif, de logement, de formation, etc.
4) Il y a réellement « crise » sur la question du renouvellement des dirigeants associatifs. C’est en tant que tel un « sujet dans le sujet ». Les raisons de cette difficulté sont multiples : montée objective des responsabilités et de la complexité (et bien sur dans cette complexité, le poids des problèmes de financement), disponibilité insuffisante, nécessité de charisme, insuffisance de formation, mauvaise délégation dans les équipes dirigeantes. Le CNOSF, pour le secteur sportif, a pris ce sujet à bras le corps et développe des démarches originales dans la durée. France Bénévolat a, pour sa part, engagé une étude/action qui sera publiée vers mars 2008 Il est clair que c’est l’un des très grands chantiers que le Monde Associatif devra traiter dans les années à venir. L’accès des femmes aux responsabilités associatives en constitue l’un des volets.
La place des femmes dans l’emploi des associations :
Sur les 1 100 000 associations, environ 15% sont employeurs (les autres ne fonctionnent qu’avec des bénévoles). Elles représentent environ 1750 000 emplois et environ 1 000 000 d’équivalents temps plein, donc avec un fort taux de travail à temps partiel.
L’emploi associatif a cru, de 1999 à 2005, 2,5 fois plus vite que dans l’ensemble de l’économie. C’est là aussi la preuve de son dynamisme et il constitue maintenant l’un des secteurs employeurs dominants, bien devant la plupart des secteurs industriels, juste derrière l’artisanat.
68% des emplois sont féminins avec de fortes disparités selon les secteurs (l’emploi est majoritairement masculin dans le secteur sportif et majoritairement féminin dans le secteur social).
Seuls 53% de ces emplois sont sous forme de CDI, la précarité forte de l’emploi associatif s’expliquant à la fois par des activités saisonnières et par le poids très important des emplois aidés, sous toutes ses formes (CES, « Emplois jeunes », CAE…).
L’excellent travail du CNRS/MATISSE ne comporte malheureusement pas d’analyse par genre et par âges. Nous en sommes réduits à utiliser des données maintenant un peu anciennes.
Globalement, la présence des hommes est nettement majoritaire dans les associations (55% des adhérents sont des hommes selon un travail du CREDOC de 1998), mais les femmes sont plus nombreuses à donner leur temps en dehors de la vie associative (16% contre 13%, selon la SOFRES en 2002). On comptabilise mal en France ce qu’on appelle dans d’autres pays « le bénévolat direct » ou « le bénévolat de proximité ».
Cette différence vaut tant sur le registre des adhérents que sur celui des bénévoles impliqués dans la vie associative :
- 40 % de Français sont membres d’une association : 46 % des hommes et seulement 34 % des femmes ;
- 13 % sont impliqués (c’est à dire ceux qui s’y consacrent au moins 5h par mois et vont à toutes les assemblées générales). Parmi eux 80 % s’engagent dans des associations sportives dont 18% d’hommes et 8% de femmes.
- 26 % ont une implication « ordinaire » (ils s’impliquent moins de 5h par mois et ne vont qu’à quelques assemblées générales), dont 28 % d’hommes et 26 % de femmes ;
- 39 % ont une participation occasionnelle ;
- 29 % sont membres d’une association tournée vers « l’épanouissement personnel » ;
- 13 % s’engagent pour une grande cause.
Il y a plus de participation dans le milieu rural que dans le milieu urbain, surtout chez les personnes qui font partie des « impliqués ».
Les divers secteurs attirent différemment les deux sexes :
Secteurs |
Hommes |
Femmes |
Sports |
18% |
11% |
Culture |
13% |
10% |
Loisirs |
10% |
6% |
Aide aux personnes défavorisées |
6% |
7% |
Parents d’élèves |
6,6% |
6,3% |
3°âge |
5,3% |
6,3% |
Associations confessionnelles |
4,8% |
3,8% |
(Données tirées des travaux de Dan Ferrand-Bechman, professeur à l’Université Paris VIII)
Les représentations diffèrent selon le sexe. Le mot « association » ne rime pas nécessairement avec le mot « militantisme », mais parfois avec ceux de « bénévolat » ou de « solidarité » :
– 75 % des femmes et 74 % des hommes pensent au bénévolat,
– 74 % des femmes pensent solidarité contre 68 % pour les hommes,
– 19 % des hommes pensent militantisme et 14 % des femmes,
– 57 % des hommes voient les associations comme des éléments de démocratie contre 48 % des femmes,
– 21 % des hommes les voient efficaces, 27 % pour les femmes
– 46 % des deux sexes pensent que cela l’Etat devrait avoir davantage de rôle.
L’insatisfaction porte sur les domaines suivants: jeunesse, santé, solidarité, éducation, environnement…
Historiquement, la vie associative a joué un rôle tout à fait essentiel dans l’émancipation des femmes :
En dehors même des associations féminines ou féministes, dont il convient de rappeler le rôle essentiel dans l’émancipation des femmes et leur lutte vers l’égalité, les associations mixtes ont constitué, et constituent encore aujourd’hui, des lieux de socialisation, d’éducation et d’expression des femmes.
Rappelons que les femmes n’ont le droit de vote que depuis 60 ans, alors que le suffrage universel était un beau principe affiché depuis la Révolution de 1789.
Les associations ont ainsi joué un double rôle :
– lieu d’expression collective et démocratique des femmes, en compensation d’une absence de démocratie politique,
– et lieu de revendication pour obtenir des droits qui leur étaient refusé par le Monde Politique.
Un poids des femmes inférieur en matière de responsabilités et un rapport au pouvoir différent :
Il existe un net déséquilibre entre les femmes et les hommes en matière de responsabilités associatives.
Nous disposons à l’intérieur du travail déjà mentionné du CNRS/MATISSE, d’un regard particulier sur la place des femmes dans les responsabilités associatives (travaux spécifiques de Muriel Tabarès), avec une comparaison 2003 et 2005 :
Enquêtes |
Présidentes |
Trésorières |
Secrétaires |
Ensemble postes dirigeantes |
2003 |
26% |
40% |
55% |
39% |
2005 |
31% |
42% |
57% |
46% |
On ne peut que se féliciter d’une évolution qui tend vers une plus une grande égalité dans la répartition des responsabilités, même si des progrès importants restent à faire. Cette évolution globalement positive recouvre évidemment des disparités importantes selon les secteurs. Ainsi si on se focalise sur le seul poste de Président (te) où l’inégalité est la plus flagrante, on retrouve tous les stéréotypes par genre :
Secteurs |
Présidents hommes |
Présidentes femmes |
Action caritative et humanitaire |
53% |
47% |
Action sociale |
53% |
47% |
Santé |
56% |
44% |
Défense des droits et des causes |
80% |
20% |
Education, formation, insertion |
64% |
36% |
Chasse et pêche |
97% |
3% |
Sports |
87% |
13% |
Culture |
62% |
38% |
Loisirs |
62% |
38% |
Défense des intérêts économiques |
70% |
30% |
Toutefois, on peut déceler une évolution très intéressante selon l’âge des associations, les associations les plus récentes « autorisant » une plus grande place aux femmes :
Date de création de l’association |
Présidents |
Présidentes |
Avant 1960 |
83% |
17% |
1961/1970 |
76% |
24% |
1971/1980 |
67% |
33% |
1981/1990 |
68% |
32% |
1991/2000 |
66% |
38% |
Après 2000 |
62% |
38% |
Ensemble |
69% |
31% |
Ces données tendraient à prouver qu’il y a, pour partie, un effet de génération !
Contrairement à l’analyse que nous pouvions faire il y a quelques années, et si la situation est encore loin d’être parfaite, on peu dire que le Monde Associatif évolue plus rapidement que le reste de la Société, probablement un peu plus vite que l’Entreprise, …en tout état de cause beaucoup plus vite que le Monde Politique, alors qu’il n’existe évidemment – et c’est heureux – aucune espèce d’obligation légale, voire même d’incitation. Le « plafond de verre » serait-il moins à l’œuvre dans le Monde associatif que dans les autres cellules de la Société ?
Si ces évolutions se confirment dans les années à venir, on ne peut que s’en réjouir pour deux raisons :
– le secteur associatif constituerait un secteur de référence, exemplaire, en évolution du fait de sa propre et de seule dynamique ;
– le secteur associatif joue, par ailleurs, un rôle irremplaçable en matière éducative, donc avec un rôle indirect (« un effet levier ») sur les autres cellules de la Société en matière d’égalité et de parité.
Comme évoqué en introduction, une bonne partie des préoccupations des associations réside moins dans le recrutement de « bénévoles de base » que dans le renouvellement de leurs dirigeants. Cette question incontournable pour leur avenir peut être un levier particulièrement puissant pour accélérer ce processus en faveur de l’égal accès aux responsabilités associatives entre les femmes et les hommes.
On peut donc estimer que le maintien du dynamisme associatif, tout à fait exceptionnel dans notre pays, passe par le renouvellement des dirigeants associatifs, avec une place plus large accordée aux femmes et aux jeunes. Ainsi, une plus grande égalité dans les responsabilités associatives constitue évidemment une question de justice, mais aussi une formidable opportunité de transformation pour le Monde Associatif, en tout état de cause une nécessité.
Mais cet élargissement passe lui-même, de mon point de vue, par une révision profonde du fonctionnement des associations : plus transparent, plus pragmatique, avec des responsabilités plus réparties et plus déléguées, avec une gouvernance davantage préoccupée d’efficacité et plus soucieuse d’évaluation de son utilité sociale… Le fait de lier, comme l’a fait le CNOSF, la question de la formation et du renouvellement des dirigeants et la question de l’accès aux responsabilités pour les femmes et les jeunes me semble particulièrement prometteur.
On peut donc faire l’hypothèse que les femmes investies dans le Monde Associatif, soucieuses d’efficacité et prioritairement préoccupées par l’utilité sociale des activités développées par les associations, n’ont aucune envie de s’investir dans des fonctionnements institutionnels formatés par des hommes et largement centrés sur des problèmes de pouvoir.
Globalement les femmes ne s’investiront pas dans les responsabilités associatives si elles y voient d’abord des fonctionnements institutionnels, sur des logiques de pouvoirs structurés par des vieux mâles ! Les femmes doivent prendre le pouvoir dans les associations et y imposer progressivement un nouveau modèle.
Heureuse conjonction : le renouvellement des dirigeants associatifs passe largement par une évolution de la gouvernance associative et cette nouvelle gouvernance passe par une plus grande place accordée aux femmes et aux jeunes !
Enfin un secteur de la Société où l’on a le sentiment qu’un peu plus de volontarisme et de conviction partagée accéléreraient un mouvement déjà à l’œuvre !
Dominique Thierry
Vice-président national de France Bénévolat et Membre de l’Observatoire de la Parité
Janvier 2008
Sources principales
- Travaux du CNRS/MATISSE/Paris I dirigés par Viviane Tchernonog, en particulier : « Les associations : ressources, emploi, travail bénévole, évolutions » (Septembre 2007)
- Travaux de Dan Ferrand-Bechman
- « La France Bénévole 2007 » Enquête CERPHI/France Bénévolat
- Evelyne Diebolt « Femmes de conviction, femmes d’action » Ed. Association Femmes et Associations-2004
- www.femmesetassociations.org
- Françoise Nallet, Anne Guardiola, Laurence Nobili, Rapport remis à la DIES dans le cadre du Programme d’action pour l’égal accès aux responsabilités entre femmes et hommes au sein des associations, Union Nationale des associations territoriales Retravailler, juillet 2003.
- Françoise Nallet, Anne Guardiola, Laurence Nobili, Pratique(s) de l’égalité dans les associations, DIES/ Union Nationale des associations territoriales Retravailler, fin 2004.