[Édito d’avril 2024 : un anniversaire oublié !]
Le 21 mars 2024, le soleil et tous les médias fêtaient le retour du printemps mais on oubliait de célébrer un anniversaire qui devrait toutes et tous nous réjouir. Car c’est bien il y a juste 140 ans, le 21 mars 1884, que fut votée une loi essentielle qui précisait dans son article 2 : « Les syndicats ou associations professionnelles, […] pourront se constituer librement sans l’autorisation du Gouvernement ». Dans son article 1er, elle avait préalablement précisé qu’elle abrogeait la loi des 14 et 27 juin 1791. Il s’agissait de la trop oubliée Loi Le Chapelier qui interdit les corporations, le compagnonnage, les coalitions ouvrières et le droit de grève.
Dans un discours présentant le décret sur l’abolition des sociétés populaires, le 29 septembre 1791, Isaac Le Chapelier (avocat rennais et député à l’Assemblée nationale constituante) exprime le fond de ces décisions. « Il n’y a de pouvoirs que ceux constitués par la volonté du peuple exprimée par les représentants […] C’est pour conserver ce principe dans toute sa pureté que, d’un bout de l’Empire à l’autre, la Constitution a fait disparaître toutes les corporations, et qu’elle n’a plus reconnu que le corps social et les individus. […] Il n’y a plus de corporations dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt de chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux autres citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation ».
C’est donc au nom de la liberté individuelle, au premier rang de la laquelle, le droit de propriété, que la Révolution récuse et interdit toute expression collective qui ne soit pas issue de l’État. Par des chemins que l’on pourrait penser opposés, c’est bien la même position qu’exprime Margaret Thatcher le 31 octobre 1987 : « La société n’existe pas », il n’y a que des individus.
En France, il aura fallu presque un siècle de luttes et de mobilisations ouvrières pour que l’on vienne à bout de l’interdit institué en 1791 et 110 ans pour que soit ensuite consacrée la liberté associative. Il y a peut-être lieu de s’interroger sur le fait que cet anniversaire n’ait pas été célébré mais cela peut avoir un lien avec la mise en cause plus large de tous les corps intermédiaires.
De plus, le monde syndical n’est pas homogène et peut même être lieu de conflits. Si c’est bien la défense des travailleurs et des travailleuses, des salariéEs, que la loi de 1884 souhaitait d’abord protéger, des syndicats patronaux étaient envisagés dès l’origine. C’est la même ambiguïté qui est reprise dans l’article 11 du texte européen en date du 8 décembre 1989 et intitulé pourtant « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs » : « Les employeurs et les travailleurs de la Communauté européenne ont le droit de s’associer librement en vue de constituer les organisations professionnelles ou syndicales de leur choix pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux ».
Syndicats patronaux, il y aurait donc, et pourquoi pas ? Encore faudrait-il qu’ils se présentent comme tels et non comme des mouvements représentant les entreprises. En ce sens, le passage de la dénomination CNPF (Conseil national du patronat français) à MEDEF (Mouvement des entreprises de France) est révélateur.